Résistance au changement

Résistance au changement

La plupart des manuels sur l’accompagnement au changement le posent quasiment en axiome : il y a des résistances au changement, « les gens » sont comme cela, l’être humain n’aime pas les évolutions. D’où la nécessité de briser ces résistances par « la conduite du changement ». (version héroïque), voire par « l’accompagnement » à travers la formation et la communication (version « soft »),. Suit alors une série d’outils à appliquer, du diagnostic jusqu’à l’évaluation.

Aujourd’hui, je voudrais reprendre le problème à la base : « quand et pourquoi y a-t-il résistance au changement ? ». Ceci pourrait ensuite permettre un nouvel éclairage sur méthodologie et outils d’intervention du « change management ».

Essayons d’approcher la question par la vie quotidienne : Changer d’appareil photo, d’appartement, de travail ? Plaisir ou contrainte ? Cela dépend … – de quoi au juste ?

D’abord : avez-vous gagné « au change » ? Votre nouvel appareil photo / appartement / travail etc. est-il meilleur que l’ancien ? Si vous refusez un nouvel appareil / appartement / travail, objectivement moins bon que l’ancien, en fait vous ne résistez pas au changement dans le sens stricte du terme , mais à un état qui ne vous est pas favorable. Transposé dans le contexte de l’entreprise, ce serait par exemple : voir votre salaire baisser. Personne ne s’étonnera de votre résistance.

Mais : « meilleur », « moins bon » ou juste « différent» – ce n’est pas toujours aussi facile à dire : « meilleur » est-ce plus confortable, plus convivial ou plus pointu ? La vie est faite de compromis et même si globalement nous nous jugeons gagnants, il y a souvent certains aspects d’un état précédent que nous regretons.

Supposons alors que le nouvel « état » corresponde davantage à ce que nous considérons comme « bon ». Pourtant : qui n’a jamais maudit ce nouvel appareil électronique, choisi après de longues semaines de réflexion, non sans avoir consulté amis experts et moult chiffres relevés dans les tests comparatifs ? Tout simplement par ce qu’il n’est pas comme l’ancien, celui avec les piles retenus par du sparadrap, et qui fonctionne de manière intermittente (puisqu’il a beaucoup souffert en nous accompagnant partout) – mais dont nous savions au moins nous servir !

En fait, très souvent le changement demande un effort d’adaptation, et ce n’est qu’au final que l’acteur est gagnant. Dans un premier temps, tout va mal, son pouvoir d’action a diminué face à un nouvel environnement. Il manque de ressources adaptées à la nouvelle situation : compétences (savoir, savoir-faire, savoir-être), outils, réseau relationnel, procédures. Conséquence : un besoin de nouvel investissement (lire le mode d’emploi, suivre une formation, acquérir des outils, identifier et approcher l’expert qui s’y connaît …) sans oublier la mise en question personnelle (« je suis nul »).

Dans la littérature sociologique on appelle « stratégie d’acteur », ces « petits tuyaux » qu’on invente pour être plus efficace dans son travail. A titre d’exemple : entretenir de bonnes relations avec le service informatique pour être dépanné en priorité, ou taire les dernières avancées d’un projet dans le reporting, afin de ne pas être à court d’avancées à rapporter quand il y a un blocage. Evidemment, en cas d’outsourcing de la maintenance informatique, voire de l’introduction d’un « reporting » automatisé à travers un outil collaboratif, ces stratégies d’acteurs deviendront caduques. Ces dernières étant souvent le résultat d’échecs surmontés avec succès, les acteurs ne seront pas enthousiastes à l’idée de recommencer l’expérience.

On comprendra alors pourquoi en situation de charge de travail importante, de forte pression et d’heures supplémentaires, la résistance au changement est particulièrement grande : « … et là, ils nous demandent encore de… ».

Résistance au changement

L’exigence d’effort supplémentaire pendant la transition est indépendante du résultat du changement : qu’il s’agisse d’une véritable amélioration (B1), d’une relative détérioration (B2 et B3) ou carrément d’un « désastre » (B4). Dans tous les cas, le changement aura demandé un effort supplémentaire qui n’aurait pas été nécessaire autrement – d’où résistance.

Résistance au changement

Mais hélas, ce n’est pas tout. Dans la réalité, le résultat dépendra souvent de facteurs imprévisibles et devient donc incertain : qu’est-ce qu’on trouvera au bout du tunnel : une nette amélioration ou un véritable enfer ?

Résistance au changement

Le changement comporte un risque. Ce qui n’est pas forcément négatif – pensons de nouveau au changement d’appartement ou de travail. Quand le vivons-nous mal ? En général, quand nous avons l’impression de le subir : se faire « mettre dehors par son proprio », ou se faire licencier est moins agréable que de choisir de déménager ou de démissionner. Nous n’aimons pas les risques quand ils sont imposés, alors que nous choisissons parfois d’en prendre. (Cf. par exemple la grande sensibilité envers certains risques sanitaires – subis – alors que le risque d’accident en roulant à 160 km/h – choisi – peut être assumé volontairement). Quand il s’agit de situations où en plus le fait d’avoir mentalement anticipé le changement apporte un avantage, le fait de les subir et d’être donc pris « au dépourvu », peut objectivement augmenter le risque de perdre au change.

En entreprise, la résistance au changement subi s’exprime dans des expressions de type : « … et là, ils veulent que nous … ». « Eux » semble alors désigner cette force obscure qui exige le changement, en opposition au « nous » qui le subit.

En plus de constituer un risque, le changement interdit de considérer l’avenir comme un prolongement linéaire du passé. Cette incertitude quant au futur empêche l’acteur de « préparer ses billes », c’est à dire de préparer les ressources dont il aura besoin pour affronter l’avenir. Sa sensation d’impuissance face au changement (« à quelle sauce va-t-on être mangés ? ») s’en trouve renforcée. D’où encore résistance.

Résistance au changement

Conséquence : dans une situation déjà « perturbée », avec peu de visibilité sur l’avenir, la résistance au changement peut être particulièrement importante.

Pour conclure provisoirement : moins un acteur dispose de ressources polyvalentes et moins il a de pouvoir sur son environnement et moins il a de visibilité sur le futur, plus le changement lui apparaîtra comme une menace. On imagine que ceci est particulièrement vrai pour les salariés exécutants, comme le note par exemple BERNOUX (2004) : « … le discours sur la résistance naturelle au changement est un discours tenu par des cadres qui ont du mal à comprendre que d’autres résistent, alors qu’eux trouvent le changement « naturel ». Ils le qualifient ainsi car ils en ont accepté le principe, condition de leur carrière, et qu’ils maîtrisent leur point de chute. La résistance au changement est beaucoup une affaire de position dans la hiérarchie, de maîtrise de son propre travail et de son environnement ». (274)

Que faire alors pour néanmoins engager les transformations dont dépend de plus en plus la survie des entreprises ? Un prochain billet s’attachera à tirer les conclusions de cette analyse pour la conduite, voire l’accompagnement, du changement dans l’entreprise.

Philippe BERNOUX, Sociologie du changement dans les entreprises et les organisations. Editions du Seuil 2004.

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