LABYRINTHE
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LABYRINTHE

Posté dans 16 septembre, 2012 dans Livre des Sagesses.

Par Patrice Levallois et Daniel Boublil

LIVRE 4

LABYRINTHE

Les traditions du monde entier ont symbolisé leur propre quête de la vérité par ce symbole graphique qui figure l’infini de cette quête. C’est le symbole de tous les voyages, et particulièrement du parcours de l’individu vers la vérité, si proche du mensonge. La pensée doit voyager comme dans un dédale. « Ce qui est cherché avec difficulté est découvert avec plus de plaisir » (Saint Augustin).

Le labyrinthe raconte une histoire. Jamais la même, plus ou moins gaie ou tragique, plus ou moins complexe selon la position du but à atteindre, la difficulté des choix, la multiplicité des entrées et des sorties, la présence ou l’absence d’impasses. En général, il raconte l’histoire d’un voyage, rappel du nomadisme des premiers groupes humains ; et celle d’un crime enfoui, d’une culpabilité cachée, d’une brutale évasion, de déception surmontées, de trésors enfouis, de séductions difficiles, de jeunes filles à sauver, de terres promises, de mondes nouveaux à conquérir ;.. L’histoire des rapports secrets de la condition humaine depuis l’origine des temps.

Plus généralement, comme le montre l’écrivain Jacques Attali, le labyrinthe représente à la fois le souvenir du premier voyage d’un nomade et l’universelle angoisse de l’homme devant le dernier voyage, celui de la mort. Il l’aide à se raconter à lui-même son propre destin, son espoir d’atteindre un idéal, avant la fin du voyage, par la force, la foi, la connaissance ou bien seulement par la patience face à l’adversité. Il lui permet de visualiser et de rendre concrètes sa défense contre le mal, sa protection contre la mort, la fragile frontière qui sépare  la vie de l’au-delà, donc de se ménager un accès à l’immortalité, à l’éternité.

Tous les mythes du labyrinthe racontent d’une façon ou d’une autre cette quadruple histoire ; un voyage, une épreuve, une initiation et une résurrection. Tous relatent la mort promise du héros, son sacrifice, sa découverte d’un secret initiatique, sa transfiguration. Voilà pourquoi les labyrinthes permettent de comprendre la façon dont chaque civilisation a décrypté les secrets de la vie, de la mort, de l’au-delà, de la création du monde et de l’identité de l’homme. Le labyrinthe est le symétrique du sablier ; une mesure infinie du temps dans un espace fermé.

CONSEILS POUR LE VOYAGEUR DU LABYRINTHE

  1. Nomadiser : être léger, hospitalier, aux aguets et solidaire ;
  2. Faire face : le courage de la confrontation.
  3. Se perdre : l’agrément comme révélation et non comme échec.
  4. S’accepter : pour avoir la force de persévérer ;
  5. Persévérer : vivre la déception.
  6. Se souvenir : la mémoire ou la mort ;
  7. Danser : le souvenir s’imprime mieux dans un corps que dans la mémoire.
  8. Jouer ! le labyrinthe n’est pas seulement métaphore de transcendance ou de rite.
  9. Ruser : le chemin n’est en rien rationnel : il faut voir, toucher, sentir.
  10. Dénouer : dénouer pour se relier à l’essentiel.
  11. Elucider : sortie ? leurre ? tout peut en principe faire l’objet d’une solution.

 L’homme qui parvient à réunir toutes ces qualités a toutes les chances d’avancer, même après d’innombrables erreurs, vers la réponse à la seule question qui vaille : « Qu’est-ce que je veux devenir ? » Quoi qu’il en soit, traverser un labyrinthe, ne serait-ce qu’une fois, transforme la conscience pour toujours. Après s’être perdu, on a ouvert toutes les portes de soi-même, on s’est exploré. On n’a pas trouvé la vérité, mais un chemin vers une question plus difficile. On ne débouche en fait que sur un chemin menant à un autre labyrinthe. Le secret du labyrinthe, c’est de permettre à celui qui l’affronte de guérir.

Que vaut un livre?
« … Un livre vaut à mes yeux par le nombre et la nouveauté des problèmes qu’il crée, anime ou ranime dans ma pensée… J’attends de mes lectures qu’elles me produisent de ces remarques, de ces réflexions, de ces arrêts subits qui suspendent le regard, illuminent des perspectives et réveillent tout à coup notre curiosité profonde… »
P. Valéry (Variété V), O.C. Pléiade I (p. 871)

Chemins de sagesse, traité du labyrinthe

Date de l’ouvrage :
Ecrit par : ATTALI Jacques
Ingegno Rationalité et Heuristiques
Ed. Fayard, Paris, 1996. 237 p.
Note de : LE MOIGNE Jean-Louis (Février 2003)

S’il n’avait été sous-titré « Traité du labyrinthe », aurais-je ouvert ce livre ? Son titre principal « Chemins de sagesse » n’est-il pas dissuasif ? Tant de gourous et de chamans assurent nous introduire aux chemins de la sagesse qu’on n’en croit plus aucun… sans doute parce que nous préférons… « en marchant construire nos chemins », trouvant quelque éphémère sagesse dans la marche plutôt que dans ces chemins… dont la trace déjà s’efface, « comme le sillage sur l’océan » nous rappelle le poète.

Si le sous-titre m’attirait -comment n’être pas attentif à la puissance quasi mythiquede la métaphore du labyrinthe, lorsqu’on réfléchit passionnément à nos représentations des complexités par lesquelles nous percevons notre rapport au « monde de la vie », je craignais pourtant un de ces exercices de virtuosité rhétorique dont l’auteur, J. Attali se fait volontiers le champion. Mais je me dirais qu’à défaut d’un solide « traité du labyrinthe », je trouverai sans doute un essai scintillant, enlevé, vivifiant… propre à me donner envie de chercher ensuite le traité qu’on m’annonçait… et que je ne comptais pas trouver ? Aussi ne fus-je pas déçu. C’est bien un essai, et non un traité, un essai vite écrit par un esprit curieux, ordonné autour d’une thèse qui n’est pas celle de la symbolisation de la complexité par le mythe du labyrinthe devenant paradigme épistémique ! Surprise, à nouveau, et tonique étonnement du lecteur, la thèse que plaide l’essai est autre ! : le retour en la réinvention du nomadisme, de la culture en alerte du nomade, dans nos civilisations de sédentaires qui ont détruit leur propre capacité à méditer en théorisant le primat de « la ligne droite qui est le plus court chemin pour atteindre le but… » lorsque le but est connu. Mais qui connaît le but ? Le sédentaire alors prend le moyen pour but, et, le baptisant « méthode rationnelle scientifique et optimisatrice », se rassure à bon compte intellectuel. Jusqu’au jour où il redécouvre que le choix du moyen suggère d’autres buts qui à leur tour… Ce jour est-il arrivé ? Alors la métaphore de l’exploration tâtonnante du labyrinthe va reprendre son sens, celui d’une aventure plutôt que celui d’une morale.

Chemin faisant, J. Attali éclaire sa démarche par un jeu d’écriture que je crois très fécond : tous les chapitres et sous chapitres de son essai sont intitulés par un verbe, annonciateur de l’action, et non plus par un substantif, décrivant une chose : le physiologue ainsi l’emporte sur l’anatomiste, le concepteur -ou le systémicien- l’emporte sur l’analyste, la conjonction l’emporte sur la dissection, l’architecte l’emporte sur l’abeille. On n’avait pas encore osé cet exercice, qui incite à méditer sur les relations qui articulent 27 verbes plutôt qu’à lire consciencieusement 235 pages ! (Son éditeur va sans doute protester ! : A quoi sert-il alors ? Croit-il que la lecture linéaire de ces pages dûment numérotées dans l’ordre constituent la seule ou la fructueuse exploration du labyrinthe que… labyrinthent (mais oui, le verbe « labyrinther » se définit et s’utilise fort bien, p. 213)… ces vingt verbes articulés les uns les autres en mille détours qui conduisent peut-être à autant de trésors ? Ainsi peuvent se modéliser, par combinaison d’implexes (… ou de verbes) les complexités que nous percevons de nos relations mouvantes avec l’univers…

Ces jeux de verbes, jeux d’actes de pensée plutôt que jeux de mots, semblent si stimulants qu’on ne peut que s’y prêter, avec plaisir. Un plaisir qu’atténue pourtant la précipitation de l’écriture… Pour vaste et rapide que soit le périple de J. Attali dans l’univers mythique des labyrinthes (mythe étonnamment universel, et il fallait s’en étonner), il oublie ou délaisse bien des îles dans cet archipel. Je pense par exemple à ce précieux conte philosophique narré par H.A. Simon, « Le labyrinthe d’Hugo » (publié en 1992 dans « Models of my life », sousle titre « The apple : a story of a maze », p. 180-188), qui évoque si bien le processus cognitif du chercheur… ne sachant pas très bien ce qu’il cherche-et qui pourtant le trouve. Peut-être ayant lu cet essai, aurez-vous envie d’explorer aussi cet autre labyrinthe ? J’aimerais vous en donner envie ! Et si ce voyage extraordinaire vous passionne, vous pourrez le poursuivre par une autre quête, celle du « Palais de la mémoire » que construisait en Chine, à la fin du XVIe siècle, le jésuite Mattéo Ricci pour émerveiller l’empereur (J.D. Spence « Le Palais de mémoire deM. Ricci », trad. Payot 1986).

J.L. Le Moigne.

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